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Depuis onze ans, le Quimperlois, David Viguier fait horloge commune avec ses rêves.

Voyageur dans l'âme, il a ouvert sa vie aux souffles de ses périples. De la Bretagne au bout du monde, contre les vents et les marées du destinLa démarche est certes tributaire d'une prothèse orthopédique et d'une béquille, mais le pas est assuré et le sourire témoigne d'une sérénité qui tient davantage de l'accomplissement personnel qu'aux progrès de la chirurgie. Droit comme un I, un faux air de capitaine Haddock dans la barbe, David Viguier revient d'une transat de quatre mois qui l'a conduit de Camaret à la Martinique. Ce voyage n'est pas le premier et ne sera certainement pas le dernier de ce Quimperlois âgé de 36 ans. Si le sort lui a arraché une jambe en 1997, il n'a pour autant jamais ébranlé ce qui façonne l'essentiel de sa personnalité : la volonté farouche d'orienter sa vie selon ses rêves, au point de voir leurs lignes d'horizon se confondre.

À bord du Nautilus

Dans son parcours, tout porte à croire que la bougeotte était inscrite au patrimoine génétique. Né à Vannes, David Viguier passe son enfance à Quiberon où la mer et les départs font partie intégrante de son environnement. « Là-bas, aller à la pêche à bord de la coquille de mon grand-père dès l'âge de 4 ans ou passer mon permis bateau avant l'auto entrait dans l'ordre des choses». Considérant l'océan comme un simple moyen de transport, le voyage - «le vrai, celui qui vous fait perdre vos repères d'homme civilisé». - commence à dos de plume. Le petit gars, déjà hyperactif et épris d'indépendance, embarque dans un train nommé Jules Verne. D'autres notoires aiguiseurs de vocations exploratrices prendront le relais. Mais le rêve tout éveillé ne lui sied pas. Non, il ne s'imagine pas dans la peau d'un capitaine Némo. Jouer au héros du bac à sable, très peu pour lui. Il adopte un principe : «Le but du savoir, c'est l'action.» Après tout, c'est bien ici et maintenant que l'aventure se joue. Ado, il choisit volontairement une école militaire pour, dit-il, «m'éloigner du giron familial et faire ce que je voulais.» La discipline est drastique mais les vacances lui ouvrent ces espaces de liberté qu'il attendait. Elles sont surtout l'occasion de tester ses qualités de mini baroudeur.

Le déclic en 1992

Après l'auto-stop, il adopte la moto comme moyen de transport terrestre privilégié. Syndrome de celui qui en veut toujours plus ou reflet d'un idéal qu'il s'est déjà fixé ? Dès cette époque, la traversée de l'Europe ne représente pour lui qu'une simple balade d'amateur, presqu'une bagatelle à la mesure de son portefeuille. «Aussi étonnant que cela puisse paraître, j'étais convaincu que le voyage était l'apanage des gens fortunés, explique David Viguier. J'étais persuadé que je n'aurais jamais été assez riche pour prendre mon billet vers le dépaysement !» Le déclic ne se produira qu'en 1992. Les études à la faculté de physique de Rennes ne sont plus qu'un souvenir, David Viguier porte le costume du jeune cadre dynamique et semble plus en partance pour une carrière informatique que pour l'aventure. Devenu ingénieur en région parisienne, il se dit qu'au bout du bas de laine, le voyage, tel qu'il le conçoit, sera à sa portée.

Première aventure : l'Equateur

«Métro, boulot, dodo», une existence «charentaises» à souhait lui pend au nez. Le semainier sous le bras, il attend ses week-ends pour se livrer sans retenue aux sports extrêmes. Et la vie va ainsi jusqu'au jour où il héberge un cousin qui prépare un mois de surf au Brésil. «Ce type gagnait trois fois moins que moi et cela ne l'empêchait pas de partir !» L'aventure passe la frontière des possibles l'été suivant : destination l'Equateur pour un séjour d'un mois. «J'ai mis trois jours avant de réaliser que c'était bien moi qui venais de poser mes valises et qui savourais ces paysages de cartes postales. » Le jeune homme touche enfin à ses aspirations de toujours. Il ne lui reste plus que le pas d'une dernière audace à franchir avant de donner à sa vie les couleurs qu'il n'avait jamais cessé de convoiter.

Le monde sans filet Deux ans plus tard, l'informaticien largue les amarres et se lance dans un tour du monde sans filet. « Je ne disposais plus d'aucune attache matérielle en France. C'était le grand saut vers l'inconnu.» Son seul repère : une date de retour à la vie civilisée, 1996. Les arcanes financiers des billetteries aériennes n'ayant plus de secret pour lui, il jette son dévolu sur la Bosnie. Il y organise - avec conviction mais sans vocation - des convois d'aide humanitaire pour une association caritative. La fibre exploratrice ne tarde pas à redonner de la voix. Trois mois plus tard, le voilà en transit dans le maquis corse avant de s'envoler pour la Thaïlande. Suivront le Brésil, le Canada au rythme d'un à trois mois par étape. David Viguier partage avec des milliers de voyageurs cette façon de courir le globe. Elle consiste à assurer au jour le jour la pitance et la destination du lendemain. Les boulots - pas toujours petits d'ailleurs - se succèdent et les rencontres aussi.

Le besoin d'attaches

Celles-ci ne manquent souvent pas d'élargir la palette des orientations possibles de son périple. Ainsi, en emboîtant le pas d'un ami découvre-t-il l'île de la Réunion. Nous sommes en 1996, le besoin d'attaches se fait ressentir à un moment opportun. «Je venais de tomber sous le charme de l'île et d'un sport alliant l'escalade aux techniques de spéléo : le canyoning.» Il décide de valider son cursus professionnel par une formation d'expert comptable pour s'installer définitivement.

Son rêve le portera

Le destin lui choisira une autre voie. Le 17 avril 1997, sur le chemin de sa formation, un accident de voiture le prive d'un membre et lui en broie deux autres. Peu de chance de survivre à son rapatriement en France, encore moins de marcher et de voyager à nouveau. À Paris, bel et bien en vie et surnommé le «puzzle» par ses médecins, David Viguier ne cesse de clamer qu'il refera de la moto, de l'escalade et des voyages... Un fou ou une volonté hors du commun ? «J'avais déjà tout simplement des rêves réalisés plein la tête», glisse l'intéressé dans un sourire. «Je crois sincèrement que c'est ce qui m'a sauvé.» Après trois ans de soins intensifs, c'est avec une prothèse qu'il passe avec succès son diplôme d'animateur d'escalade. Pour vérifier s'il compte encore parmi les voyageurs, il choisit les conditions pénibles de Madagascar. Paris gagnés. En 2001, il parcourt l'Irlande en side-car. Fin 2002, début 2003, on le retrouve à bord d'un jurançon de 9,85 m, destination la Martinique, soit quatre mois de transat. Aujourd'hui qu'elle soit bonne ou mauvaise, David Viguier demeure accroché à son étoile. Entre ses projets de voyages et son métier de formateur en informatique en free-lance, ce baroudeur jusqu'au bout des méninges vient de mettre au point une méthode simplifiée de navigation astronomique. Et demain, où le retrouvera-t-on ? A coup sûr, là où ses rêves l'auront porté.

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